Comparer des systèmes éducatifs : plus facile à dire qu’à faire

Lundi 23 novembre 2020

Eric Dionne

Dans mon dernier billet, je discutais de la comparabilité du système scolaire québécois et ontarien. Un article paru dans la revue L’Actualité en décembre 2020 ne tarissait pas d’éloges à l’endroit de la supériorité du système de l’Ontario en comparaison avec celui du Québec. Or, les données d’enquêtes internationales brossent un tout autre portrait. En effet, ces dernières indiquent plutôt que les deux systèmes montrent des performances plutôt semblables quand on examine les données dans leur ensemble. Examinons maintenant les arguments présentés par le journaliste Jean-Benoît Nadeau pour expliquer ce « miracle » ontarien.

Le succès du système ontarien reposerait, entre autres, sur : (1) la présence d’un ordre professionnel, (2) les indicateurs de performance mis à la disposition des conseils scolaires et une concurrence très forte entre les conseils, et (3) la pédagogie basée sur la recherche. Examinons chacun de ces aspects en gardant à l’esprit les données comparatives présentées dans mon billet précédent à savoir que les deux systèmes sont comparables.

Est-ce que la création d’un ordre professionnel chez les enseignants peut expliquer, du moins en partie, les succès de l’Ontario ? Si l’on examine ce qui s’est passé sur une période de 25 ans en Colombie-Britannique, force est de constater qu’un ordre professionnel ne résout pas à lui seul tous les problèmes. En effet, la présence de ce dernier en Colombie-Britannique a amené des dérives qui ont, par exemple, fait en sorte de protéger davantage les enseignants que le public. Ainsi, de mentionner que le fait d’appartenir à un ordre professionnel « change complètement la vision qu’on a de notre rôle » est davantage de l’ordre du fantasme que de la réalité. Un ordre peut certainement, et dans certaines conditions, améliorer la qualité de l’Enseignement, mais cela ne va pas magnifiquement de soi.

Le succès serait aussi attribuable aux indicateurs de performance et à la forte concurrence entre les conseils scolaires. À la lecture du texte, on a l’impression de faire référence à une entreprise qui fabrique des biens de consommation! Que l’on souhaite évaluer les programmes qui sont mis en place, c’est une chose. Par contre, s’imaginer que l’éducation est un objet qui peut obéir aux lois du marché et aux façons de faire de l’industrie relève encore une fois du fantasme. Il est connu depuis les années 50 que la « forte » concurrence dans le domaine sociale amène inévitablement des dérives (voir les travaux de Campbell, 1951) : tricherie, manipulations des notes, etc. Cette concurrence féroce amène des intervenants scolaires à poser des gestes regrettables comme ceux rapportés par exemple dans l’édition du 16 février 2018 dans le Droit où on apprenait que la direction modifiait les notes des élèves en échec afin d’obtenir des résultats plus reluisants… Par ailleurs, il est terriblement ironique de constater que la concurrence soit si utile pour améliorer le système alors que le ministère de l’Éducation de l’Ontario prône exactement le contraire dans ses documents officiels. Il invite les enseignants à ne justement pas comparer les élèves entre eux pour éviter une perte de motivation…!

Le dernier aspect que j’aborderai dans ce billet est en lien avec les orientations basées sur la recherche. On ne peut être contre cette idée qui est pleine de sens et il est vrai que plusieurs mesures prises en Ontario ont eu des effets bénéfiques (ex. investir dans les premières années scolaires). Par contre, force est de constater que l’enseignement est loin de s’appuyer sur des données de recherche à l’échelle de la province. L’article présente une vision idyllique qui laisse croire que les interventions pédagogiques sont toutes appuyées sur la recherche. Or, dans les faits, c’est loin d’être le cas. Ne serait-ce que l’obtention d’un consensus sur les méthodes « connues et éprouvées », cela ne coulerait pas de source. La pédagogie repose sur des principes, des valeurs et des techniques qu’il est difficile d’appliquer de façon commune sans tenir compte du contexte. Ainsi quand dans l’article on mentionne qu’une politique a été élaborée en deux heures, on peut se demander si l’on est en présence d’un reportage journalistique ou d’une info pub… Comme je le mentionnais, le gouvernement de l’Ontario a pris des mesures très pertinentes qui méritent d’être félicitées. Par contre, le travail des enseignants explique probablement aussi une grande partie du succès du système ontarien comme c’est le cas aussi… au Québec.

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