Le « bulletin » des écoles secondaires du Québec

Lundi 26 octobre 2020

Eric Dionne

L’Institut Fraser (IF) publie, encore cette année, son Bulletin des écoles secondaires du Québec qui est disponible ici. Qu’est-ce qu’on y apprend ? Rien de neuf. Les écoles privées conservent leur rôle de locomotive et les écoles publiques sont à la remorque de cette dernière. Il s’agit de résultats prévisibles sur lesquels je reviendrais plus tard. Avant d’examiner les résultats pour les écoles de l’Outaouais, il est nécessaire de dire deux mots sur l’IF. Sa mission consiste en « améliorer la qualité de vie des Canadiens et des générations à venir en étudiant, mesurant et en diffusant largement les effets des politiques gouvernementales, de l’entrepreneuriat et des choix sur leur bien-être ». Il s’agit, certes, d’un énoncé louable, mais il faut aussi ajouter que l’IF est d’abord et avant tout un think tank de droite qui prône le néolibéralisme et l’économie de marché. J’invite donc le lecteur à prendre connaissance des travaux de l’IF en tenant compte de ces informations.

Le cadre d’analyse des auteurs du Bulletin est composé d’un certain nombre de postulats et de quelques prétentions. En ce qui concerne les postulats, ils mentionnent que certaines écoles réussissent mieux que d’autres (sic) et que les comparaisons sont au cœur même du processus d’amélioration. Le premier postulat est davantage de l’ordre d’une lapalissade. La question qui m’apparaît plus pertinente est plutôt : pourquoi certaines écoles réussissent-elles mieux que d’autres ? Vaste question sur laquelle bien des chercheurs en éducation se cassent les dents depuis d’incalculables décennies. Le second postulat voulant que les comparaisons entraînent des améliorations. Comment ? Encore une fois, l’IF est muet sur cette question. C’est un acte de foi : comparer c’est améliorer. Je ne doute aucunement que dans certaines circonstances, comparer peut amener à poser un diagnostic pertinent qui peut amener à des solutions efficientes. Lier l’un à l’autre sans autre explication m’apparaît, cependant, un raccourci intellectuel un peu facile.

L’institut mentionne dans son rapport que le Bulletin favorise l’amélioration des écoles. Il s’agirait d’un document de référence qui ferait en sorte que les acteurs du milieu de l’éducation en tireraient tous les enseignements et les « bons coups » pour les transposer dans leurs écoles en difficulté. Il faut alors se demander pourquoi ce sont toujours les mêmes écoles qui sont en queue de peloton et pourquoi année après année ce sont les mêmes écoles qui trônent au sommet du classement. Par ailleurs, le Bulletin permettrait d’aider les parents à faire des choix. Il s’agit certainement d’un hasard que ce dernier sorte en octobre juste au moment où les écoles privées passent leurs tests de sélection en vue de la prochaine année scolaire. Pour les parents qui ne peuvent se permettre financièrement l’accès aux écoles privées, que leur reste-t-il comme choix ? Ce type de comparaison met en compétition, au demeurant inégale, non seulement les écoles privées et les écoles publiques, mais aussi les écoles publiques entre elles. Pour les personnes qui souhaitent plus de compétition dans le domaine de l’éducation, je les invite à analyser ce qui se passe aux États-Unis et de constater dans quel état se trouve leur système éducatif.

Loin de moi, l’idée de décourager les parents de consulter ce Bulletin des écoles secondaires. C’est un document public qui peut probablement intéresser bon nombre de parents. Il faut cependant bien comprendre sur quoi repose ce classement. La cote globale s’appuie essentiellement sur cinq indicateurs : (1) les résultats aux épreuves uniques dans les quatre matières essentielles, (2) le taux d’échec aux épreuves uniques, (3) la surestimation des résultats par l’école, (4) l’écart entre les résultats des garçons et deux des filles aux épreuves uniques et (5) la probabilité que les élèves inscrits accusent du retard dans la réalisation de leur programme d’études. Il s’agit donc d’un classement qui est tributaire des indicateurs utilisés et qui représente un regard forcément tronqué de la réalité. Les cotes cachent une réalité éminemment complexe qu’aucune cote, aussi sophistiquée soit-elle, ne pourra fidèlement traduire. Dans la mesure où les résultats aux examens ministériels composent une large part de la cote présentée, il n’est pas étonnant que les écoles privées fassent aussi bien. En effet, elles ont non seulement le loisir de sélectionner les élèves, ce que ne peuvent faire les écoles publiques, mais elles peuvent également renvoyer les élèves qui pourraient éventuellement nuire à leur performance. Bien sûr, les défenseurs diront que les résultats sont maintenant présentés par type d’école (privé et public) plutôt qu’amalgamés. Il n’en demeure pas moins que dans l’opinion publique, les gens ne retiennent que le rang du classement (mon école est 12e!). Sur cette seule base, c’est l’école publique qui en sort grande perdante comme s’il s’agissait de « mauvaises écoles » où les élèves n’apprenaient rien.

Le tableau 1 qui suit présente la synthèse des résultats pour les données de 2019 des écoles privées et publiques de la région administrative de l’Outaouais. Comme je le mentionnais d’entrée de jeu, on y apprend peu de choses. Les écoles privées font largement mieux que les écoles publiques. Ce résultat est constant comme le révèle la moyenne des rangs occupés entre 2015 et 2019. J’attire cependant le lecteur sur les deux dernières colonnes du tableau : le pourcentage de retard et le pourcentage d’élèves EHDA. Pour ces deux indicateurs, on constate que des écarts gargantuesques entre les écoles privées et publiques. Pourquoi ? Encore une fois, les écoles publiques doivent offrir des services à TOUS les élèves qu’ils soient en réussite ou en difficulté. À ce chapitre, les écoles privées sélectionnent les élèves qui ont les meilleures aptitudes et laissent aux écoles publiques le fardeau de s’occuper des élèves qui ont les plus grands besoins. Est-ce que c’est de cette façon que le Bulletin permettra d’améliorer le système éducatif ? En ce qui concerne les écoles publiques, elles se situent pour la plupart près du rang médian, soit 237 ce qui est loin d’être catastrophique. Autrement dit, les résultats ne sont ni pires ni meilleurs qu’ailleurs au Québec. En mettant en correspondance les résultats obtenus par les élèves et les clientèles, on peut même conclure que les écoles publiques font même très bien.

Tableau 1. Synthèse des résultats présentés par l’IF pour les écoles de l’Outaouais en 2019.

20152016201720182019Rang 2019 (/473)Rang 2015-2019 (/473)Retard (%)EHDAA (%)
D’arcy McGee6,15,85,96,36,120919420,537,5
Du Versant5,65,55,75,75,923122917,228,2
Louis-Joseph Papineau5,25,64,64,86,417728427,833,4
De L’érablière5,24,64,65,05,331232521,148,8
Grande-Rivière4,85,15,35,15,824330017,042,4
Mont-Bleu5,34,95,45,45,824326423,450,8
De l’île5,75,35,05,85,429426422,236,1
Hormidas-Gamelin6,04,74,75,86,318325018,140,3
Nicolas-Gatineau4,95,24,95,35,429430918,739,0
Des Lacs4,04,34,73,75,824336029,361,4
La Cité étudiante5,53,64,82,74,439737820,342,2
Du-Cœur-de-la-Gatineau3,43,92,93,43,045240621,141,0
Le Carrefour4,85,35,66,05,726325024,536,5
Philemon Wright6,56,36,86,96,615913918,837,0
Collège St-Alexandre9,09,29,19,49,412170,515,0
Collège St-Joseph9,29,79,59,510,0161,516,0
Nouvelles-Frontières7,48,38,78,79,024425,433,7

Qu’on l’aime ou non, le Bulletin des écoles secondaires du Québec est apparemment là pour de bon. Il est publié chaque année et on verra si ce sera le cas encore l’année prochaine puisque les épreuves de juin 2020 du Ministère ont été annulées. Sans nier que ce genre de ranking puisse avoir une certaine utilité, il m’apparaît évident qu’il faut en faire une lecture et une utilisation critiques. Ce Bulletin n’est pas le classement des meilleures écoles. Ce n’est pas non plus le classement des meilleurs enseignants ou des meilleurs élèves. Il s’agit d’une photo prise à un moment précis dont la lentille fait apparaître clairement certains détails, mais en masque d’autres tout aussi importants.


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